Il y a quelques années, déambulant le soir dans les rues de Paris, je trouvais dans les bacs d’un marchand de DVD rue Rambuteau un compartiment dédié à Raymond Depardon photographe. Différents films documentaires abordant des sujets de société : les urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu, la justice française et finalement une trilogie appelée : Profils paysan qui attira mon attention. Et rien sur “comment rouler en peloton” !
Pour faire court ! Dans le premier documentaire, datant de 2001, Raymond Depardon se rend dans la Montagne du Bougès, au sud du Pont de Montvert en Lozère, plus précisément dans les villages de l’Hermet, du Villaret et de Grizac. Il entre en relation avec des paysans dans les cours de fermes. Une fois la confiance établie, il est invité à entrer dans la cuisine, la pièce ou on discute. Il dépose sa caméra sur la table et la laisse tourner.
Les cuisines sont grandes, les équipements peu nombreux, anciens et disparates. Dans le champ de la caméra ou non, le paysan navigue dans sa cuisine, alimente le foyer de son fourneau, rince son bol a l’évier puis finalement s’assied à la table, face à la caméra, un bol de café devant lui. Il reste silencieux. Raymond Depardon tente alors d’établir la conversation en interrogeant le paysan sur ses activités, sa famille, la vie dans la ferme …
Pudique, le paysan ne se livre pas … Et puis avec une élocution lente, des mots précis et bien martelés par une voix chargée d’accent occitan, on assiste à une description détaillée d’activités bien rodées, transmises de génération en génération : la traite, la fenaison, le vêlage, la coupe du bois pour l’hiver, les piquets de clôture à changer après l’hiver…
Au travers de ces récits, se dégage un profond respect pour le travail, pour les animaux et la terre et se dessine des personnalités indépendantes, fières et résignées.
Quatre ans puis huit ans plus tard, Raymond Depardon, revient dans ces villages… Beaucoup de fermes sont devenues des résidences secondaires, un petit nombre ont été reprises par des jeunes couples grâce aux “aides” !
J’ai souhaité parcourir en vélo ces routes et ses villages de la Montagne du Bougès et retrouver l’ambiance paisible de ces films.
Les prévisions météo pour le weekend de la Toussaint étaient favorables. Mais à cette période de l’année, peu d’hôtels restent ouverts en Lozère, essentiellement à cause du cout du chauffage. Finalement une opportunité s’est présentée à Villefort en Lozère à la frontière de l’Ardèche et du Gard sur la ligne du Cévenol. L’hôtel Balme. Architecture, équipements et mobilier du début du XXème siècle. Privé d’étoile car pas de télé dans les chambres.
Villefort l’été, les nombreuses terrasses de cafés sous les platanes sont bondées, les commerces ouverts même le dimanche. Changement de décors à l’automne, Villefort est déserte, sombre, humide, recouvert d’un nuage de fumée car située au fond d’une vallée étroite en contre bas du barrage.

Un premier repérage des routes autour de Villefort, samedi après-midi. Un circuit à cheval entre Lozère et Gard du nord ! Direction le Mas de la Barque, 15 km de côte bien prononcée à l’ombre du Mont Lozère. Le Mas de la Barque est un petit hameau sur le flanc Est du Mont Lozère, composé des fermes transformées en gîtes. C’est le départ de circuits pédestres et VTT, en particulier vers le Pic Cassini ou le Tarn prend sa source. Quelques photos et je poursuis sur une route étroite et sinueuse qui descend à Genolhac la ville la plus septentrionale du département du Gard. Pour finir, un petit crochet sur les routes gardoises et
la Garde Guerin avant de rentrer à Villefort.
Dimanche la météo est propice à un tour du Mont Lozère et découverte des villages de la Montagne du Bougès.
9h, Villefort au fond de sa vallée est encore dans l’obscurité. Quelques kilomètres plus loin sur la route d’Alès, le soleil fait son apparition. A Genolhac, cap à l’Ouest, direction : le Pont de Montvert par le Col de la Croix de Berthel. Le long de cette route, de nombreux torrents dévalent bruyamment du flanc Sud du Mont Lozère, parmi ceux-ci : Le Tarn dont la source est toute proche. Dans les villages, les temples côtoient les églises, des panneaux d’information rappellent que suite à la révocation de l’Edit de Nantes, les paysans protestants de ces contrées cévenoles se soulevèrent, un évènement connu sous le
nom de guerre des camisards.
A l’automne, le Pont de Montvert est toujours agréable et très fréquenté, terrasses bondées et service lent par manque de personnel, toujours la même rengaine !
En amont de Florac, Le Tarn est une rivière sauvage et fougueuse, qui coule dans un lit de granit, trop étroit quand se produisent des épisodes cévenols ; le village du Pont de Montvert n’est pas épargné par ces crues.
Je traverse le Tarn sur le pont médiéval puis un dédale de petites rues avant de trouver une petite route de campagne boisée qui mène à Grizac. De toute part des paysages escarpés, le village de Grizac est accroché sur un flanc de montagne bien exposé au soleil. Plus aucun résident à l’année, des maisons secondaires et quelques touristes provenant du Vaucluse a la recherche de calme, fraicheur et authenticité. Parmi les anciennes fermes se distingue une grosse maison de bourg, appelée le château de Grizac, ou naquit l’avant dernier pape en Avignon, Urbain V dont la statue est devant la Cathédrale de Mende. Je poursuis vers le village de l’Hermet qui a connu lui aussi la même évolution. La route qui me ramène au Pont de Montvert est magnifique. La carte Michelin l’indique avec un trait discontinu, car dangereuse. Elle serpente sur le plateau ensoleillé entre blocs de granit et frênes avant de plonger dans des gorges, elle n’est pas plus large qu’une piste cyclable.

Retour sur le Tarn puis direction du Col de Finiels afin de terminer la boucle autour du Mont Lozère.
C’est un col paisible, une pente longue et régulière, la route est bordée de prairies et de chaos granitiques, pas de bois mais quelques alignements de frênes, si bien que le champ de vision est toujours très large en progressant vers le sommet.
Une fois arrivé au col de Finiels, plus aucune difficulté pour
rejoindre Villefort, si ce n’est se hâter pour éviter la nuit. Descente du col jusqu’au Bleymard ensuite la route longe l’Altier qui alimente le lac de Villefort. La route passe sous une arche du viaduc du Cevenol, les autres arches enjambent le lac de Villefort. La construction du viaduc est antérieure à la construction du lac de barrage….
A l’arrivée, vers 17h, Villefort est déjà dans l’obscurité. Je retrouve l’hôtel aux charmes surannés.

Après le dîner, enfoui au fond d’un bon lit sous une pile d’édredons, je m’apprêtais à compter les moutons quand… l’un d’eux se détacha du troupeau et s’approcha de moi pour me toucher deux mots sur un “Comment rouler en peloton”. Un mouton qui parle ! Ne serait-ce pas la brebis à verte ? Comme il poursuivait, je montrais un très grand intérêt pour les conseils qu’il me prodiguait, je ne voulais pas être le mouton noir et pour le remercier de la qualité de ses enseignements, je le gratifiais de mouton à 5 pattes. Il ne tarissait pas de vouloir m’éduquer alors je finis par lui retourner : “Soit bêle ou tais-toi”. Blessé dans sa dignité, il retourna à ses moutons et moi dans les bras de Morphée.
Le lendemain je reprenais la route vers Thines en Ardèche.
Philippe Delmas
